Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Voix

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Henri Plon (p. 695-696).

Voix. Boguet assure qu’on reconnaît un possédé à la qualité de sa voix. Si elle est sourde et enrouée, nul doute, dit-il, qu’il ne faille aussitôt procéder aux exorcismes.

Sous le règne de Tibère, vers le temps de la mort de Notre-Seigneur, le pilote Thamus, côtoyant les îles de la mer Egée, entendit un soir, aussi bien que tous ceux qui se trouvaient sur son vaisseau, une grande voix qui l’appela plusieurs fois par son nom. Lorsqu’il eut répondu, la voix lui commanda de crier, en un certain lieu, que le grand Pan était mort. À peine eut-il prononcé ces paroles dans le lieu désigné, qu’on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d’une multitude de personnes affligées par cette nouvelle[1]. L’empereur Tibère assembla des savants pour interpréter ces paroles. On les appliqua à Pan, fils de Pénélope, qui vivait plus de mille ans auparavant ; mais, selon les versions les plus accréditées, il faut entendre par le grand Pan le maître des démons, dont l’empire était détruit parla mort de Jésus-Christ.

Les douteurs attribuent aux échos les gémissements qui se firent entendre au pilote Thamus ; mais on n’explique pas la voix.

Cette grande voix, dit le comte de Gabalis, était produite par les peuples de l’air, qui donnaient avis aux peuples des eaux que le premier et le plus âgé des sylphes venait de mourir. Et comme il s’ensuivrait de là que les esprits élémentaires étaient les faux dieux des païens, il confirme cette conséquence en ajoutant que les démons sont trop malheureux et trop faibles pour avoir jamais eu le pouvoir de se faire adorer ; mais qu’ils ont pu persuader aux hôtes des éléments de se montrer aux hommes et de se luire dresser des temples ; et que, par la domination naturelle que chacun d’eux a sur l’élément qu’il habite, ils troublaient l’air et la mer, ébranlaient la terre et dispensaient les feux du ciel à leur fantaisie : de sorte qu’ils n’avaient pas grand-peine à être pris pour des divinités.

Le comte Arigo bel Missere (Henri le bel Missere) mourut vers l’an 1000. Il avait combattu les Maures qui envahissaient la Corse. Une tradition prétend qu’à sa mort une voix s’entendit dans l’air, qui chantait ces paroles prophétiques :

È morto il conte Arigo bel Missere,
E Corsica sarà di maie in peggio[2].

Saint Clément d’Alexandrie raconte qu’en Perse, vers la région des mages, on voyait trois montagnes, plantées au milieu d’une large campagne, distantes également l’une de l’autre. En approchant de la première, on entendait comme des voix confuses de plusieurs personnes qui se battaient ; près de la seconde, le bruit était plus grand ; et à la troisième, c’étaient des fracas d’allégresse, comme d’un grand nombre de gens qui se réjouissaient. Le même auteur dit avoir appris d’anciens historiens que, dans la Grande-Bretagne, on entend au pied d’une montagne des sons de cymbales et de cloches qui carillonnent en mesure.

Il y a, dit-on, en Afrique, dans certaines familles, des sorcières qui ensorcellent par la voix et la langue, et font périr les blés, les animaux et les hommes dont elles parlent, même pour en dire du bien. — En Bretagne, le mugissement lointain de la trier, le sifflement des vents, entendu dans la nuit, sont la voix d’un noyé qui demande un tombeau[3].


  1. Eusèbe, après Plutarque.
  2. Prosper Mérimée, Colomba.
  3. Cambry, Voyage dans le Finistère.